Histoire: Né vers la fin du XVIème siècle, quelque part dans le nord de la France, l’enfant naquit vers le début du pic de Chasse aux Sorcières d’Europe, ce qui lui valu une enfance bien malheureuse. En effet, à peine l’âgé de 4 ans, Dharc fut séparé de sa mère, condamnée au bûcher pour sorcellerie, et de son père, enfermé à vie car il représentait un danger pour la société.
L’accusation sur madame Lysen fût portée par un des voisins de la famille suite à une dispute au cours de laquelle elle aurait « tenté de soumettre la victime par la pensée ». Suite à une enquête approfondie, des fioles pleines de potions et divers filtres furent trouvés dans la résidence des Lysen. La mère de Dharc fût alors jugée et brûlée sous ses yeux. L'enfant se trouvait en effet dans l'assemblée au moment du drâme, sous une autre apparence.
Quant à monsieur Lysen, il fût au départ soupçonné d’être soumis à un quelconque sortilège que lui aurait jeté sa femme en raison du fait qu’il la défendait ardemment malgré des preuves plus que flagrantes. Les prêtres jugèrent alors que le charme serait rompu une fois la source exterminée et n’y prêtèrent guère attention.
Cependant, malgré le temps qui passa après l’expiation de la sorcière, monsieur Lysen continuait de prôner l’innocence de sa femme, et alla même jusqu’à s’accuser lui-même de pratiquer la sorcellerie pour que la mémoire de sa femme ne reste pas ainsi souillée. La population en arriva donc à la conclusion que le charme jeté sur l’homme était si puissant qu’il perdurerait éternellement, et ce en dépit de la mort de la sorcière. Il fût donc enfermé dans un cachot afin que le sort ne le pousse pas à commettre des actions criminelles.
«
Nous devons protéger l’âme de ce pauvre innocent, empêcher le maléfice de la pervertir, et l’empêcher de nuire à la vie de nos citoyens » clama le juge qui le condamna.Quelques jours plus tard, le père de Dharc s’était suicidé dans sa geôle.
Les prêtres et les juges n’étaient pas si loin de la vérité que cela. En réalité, monsieur Lysen ne mentait pas : il était bien le sorcier qui avait concocté les filtres trouvés chez lui. Quant à madame Lysen, elle n’était pas une sorcière, mais un démon…
Tout commença lorsque monsieur Lysen voulu mener une expérience sur les incantations. Son objectif était de parvenir à invoquer et soumettre un démon sans bouche. Une catégorie particulière de démons réputés, comme leur nom l’indique, pour ne pas posséder d’appareil buccal. Ces créatures, relativement rares et se déplaçant en petits groupes très isolés, communiquent en lisant les pensées les uns des autres, et utilisent ce dont pour la chasse. Fort laids, leur physique ainsi que leur force surhumaine leur procurent des qualités dissuasives.
Lysen pensait pouvoir tirer avantage de leur don de télépathie en n’ayant pas à formuler ses ordres ou à se concentrer bien fort pour soumettre le démon à sa volonté, ce qui offrait des possibilités tactiques de combat de groupe fort intéressantes. De plus, avec de l’entrainement et de la concentration, il lui aurait même été possible d’ordonner au démon de lui transmettre les pensées de ses ennemis, et ainsi pouvoir devancer ses actions. Une machine à lire les pensées des autres, telles étaient les ambitions de Lysen.
L’expérience réussit après quelques mois de recherches, de tests, et de démons sans bouches accidentellement lâchés dans la nature. Lysen était enfin parvenu à soumettre de façon prolongée un démon aux facultés très avantageuses. Tout se déroula comme prévu durant les premières années, Lysen prenant soin de cacher et nourrir le démon dans une cave, sans doute par peur de ne pas arriver à l’amener et le soumettre à nouveau s’il s’aventurait à le révoquer dans sa dimension.
Mais à force de fréquenter ce démon, de prendre soin de lui, de l’étudier, de le voir le défendre en cas de danger, un lien de confiance se tissa entre lui et la créature. Il s’y attacha, et ce fut réciproque. En effet, le démon devenait de plus en plus docile, nécessitait de moins en moins d’être soumis par la volonté du mage, et se mit même à agir de son plein gré en faveur de Lysen durant les combats. Ce dernier voulu alors sortir la créature de la cave, la laisser vivre dans la maison au quotidien, à ses côtés. Le seul problème restait de trouver une solution pour maintenir son secret bien gardé…
L’homme se lança alors dans une nouvelle expérience, la métamorphose d’un démon sous forme humaine. Après de nouveaux mois à travailler d’arrache pied pour n’obtenir que des tests infructueux, Lysen parvint à transformer un autre démon de la même espèce en humain. Il révoqua donc ce dernier et réitéra l’expérience une dernière fois, sur son compagnon cette fois-ci.
Soucieux de ne pas décevoir son nouvel ami, le magicien laissa au démon décider quelle apparence il voudrait posséder, lui précisant que c’était irrévocable et qu’il se devait de bien choisir. C’est alors que le démon lui envoya une image par télépathie…
Lysen fût très perturbé par l’image qu’il venait de recevoir. Une femme, le démon prendrait l’apparence d’une femme, que le mage trouvait par ailleurs fort belle. La créature avait fouillé dans l’esprit de l’homme l’image qu’il avait de la femme parfaite et avait décidé de prendre cette forme. C’est alors que Lysen réalisa quelque chose à laquelle il n’avait jusque là pas prêté attention : le démon qu’il avait en face de lui était une femelle, et le lien qui s’était créé entre eux semblait, au moins aux yeux du démon, bien plus que de la simple complicité.
Le choc de la nouvelle passé, le magicien s’exécuta et changea l’horrible démon en une magnifique compagne.
Quelques années plus tard, les deux amants se marièrent et eurent un enfant. Bien que culpabilisant à l’idée d’étudier sa propre descendance, monsieur Lysen ne résista pas à la tentation de satisfaire sa curiosité, d’assouvir sa soif de connaissance, en observant de très près le premier enfant né de l’union d’un humain et d’un démon, du moins à sa connaissance.
Très rapidement, l’enfant prénommé Dharc, manifesta la capacité de pouvoir transmettre ses pensées, ceci lui causa d’ailleurs quelques soucis. Habitué à communiquer ses besoins par télépathie depuis nourrisson, l’enfant mis bien du temps à apprendre à parler, et il fallu pour ça que ses parents se forcent à ignorer les pensées du bambin afin de le pousser à user d’un autre moyen de communication.
Par la suite, une autre faculté, ne venant ni de son père ni de sa mère, fit son apparition : la capacité à prendre n’importe quelle apparence, du moment que celle-ci fût humaine. Son père en déduisit que cette faculté lui provenait du charme, très puissant et allant même jusqu’à modifier la nature même de la cible, qu’il avait jeté à sa mère pour la rendre humaine.
Dans le but d’éviter toute métamorphose en public, Dharc ne fut pas autorisé à sortir de chez lui avant de maîtriser son don de transformation à peu près correctement, et sous condition d’avoir pris conscience du risque que comportait une transformation publique.
Malheureusement, ce jour n’arriva pas assez tôt…
Année 1591, durant le mois de Mars, madame Lysen est condamnée pour sorcellerie. La même année, en Octobre, monsieur Lysen est emmené pour être jugé puis enfermé. Ignorant tout de l’existence de l’enfant, les autorités laissent la maison à l’abandon, ainsi que Dharc. Des années s’écoulèrent durant lesquelles l’enfant sortait pour quérir de la nourriture en mendiant auprès des commerçants, tous les jours sous une nouvelle apparence, puis se cachait chez lui afin de se remplir la panse autant que possible.
Lorsque la mendicité ne suffit plus, Dharc passa aux larcins, profitant de sa faculté à changer son apparence pour ne jamais se faire prendre.
Bien des années plus tard, le semi-démon avait bien grandit et s’était bien mieux adapté au système. Il avait un travail, des amis, et surtout une grande connaissance de la nature humaine. Il savait parfaitement ce que les gens voulaient voir et entendre, et son don de télépathie n’y était pas pour rien.
Cependant, le petit confort de sa vie fût de courte durée. A force de temps, ses compagnons, ses amis, et toutes les personnes auxquelles Dharc s’était attaché, vieillirent, puis moururent, et l’être hybride dût changer de vie…
Telle était la malédiction de Dharc, une espérance de vie bien supérieure à celle des humains, et par conséquent l’obligation de voir disparaître un à un toute personne à qui il s’attachait. Le pire était qu’ayant tellement changé d’apparence, ayant tellement simulé le vieillissement humain, Dharc en avait oublié son apparence d’origine. L’avait-il seulement vue dans un miroir un jour ? Ce faisant, il lui était impossible de voir à quoi il pouvait bien ressembler aujourd’hui, impossible d’évaluer à quelle vitesse il vieillissait comparé aux autres, impossible d’évaluer combien de temps encore il devrait survivre à ceux qu’il chérissait.
Les décennies s’écoulèrent, la solitude et la résignation s’installèrent.
Etant à moitié humain, Dharc ne pouvait pas être invoqué par un quelconque mage, ni même être repéré, appelé et recruté par de quelconques forces démoniaques. Etant à moitié démon, il lui était impossible de réellement s’adapter à la société humaine.
C’est au début du XVIIIème siècle, alors que Dharc errait quelque part en Suisse, regardant le temps passer sous la forme d’une jeune femme noble et fort courtisée, qu’elle fit la rencontre d’un homme qui bouleversa sa vie. Il fallait l’admettre, l’individu était loin d’appartenir à la même classe sociale que l’hybride. Cependant, quelque chose en lui était particulier, elle n’aurait sût dire quoi mais à force de sonder l’esprit de l’énergumène, de se familiariser avec sa façon de penser, elle lui trouva quelque chose que les autres n’avaient pas. Elle voyait en lui une sorte de noblesse, jusque-là différente de celle qu’elle connaissait. Elle qualifia cela de noblesse d’âme.
Curieuse d’en découvrir plus, Dharc changea de vie. Elle quitta son apparence, ses richesses, son statut social, dans le seul but de se rapprocher de ce modeste homme. Au fil des années, l’amour s’installa, et Dharc Lysen devint Darcy, la femme de ce « noble d’âme ».
En 1734, dans la commune de Sennwald, Darcy fit pour la première fois l’expérience de donner la vie, et accoucha dans la souffrance d’une petite fille qui fut baptisée Anna. Le temps passa, Anna grandit et devint une fort belle femme, qui cependant ne combla pas les espérances de sa mère.
En effet, Darcy avait secrètement espéré que l’enfant qu’elle aurait mis au monde aurait hérité de facultés similaires aux siennes. Cependant, il n’en fut rien. Pas de télépathie, pas de métamorphose, et une croissance tout ce qu’il y avait de plus normal. La femme fut profondément meurtrie d’avance de savoir qu’elle finirait très vite de nouveau seule, et pire, qu’elle survivrait à sa propre fille en plus de son mari.
Darcy pût cependant profiter de quelques plaisirs de la vie, comme voir sa fille tomber amoureuse d’un certain Göldin, se marier et devenir madame Anna Göldin… Darcy devint même grand-mère de deux petits enfants.
Cependant, le plaisir fût d’encore plus courte durée qu’elle ne l’imaginait…
Le 25 Janvier 1782, alors qu’Anna travaillait dans le canton de Glaris en tant que servante d’une riche famille, un avis de recherche fut déposé, l’accusant d’avoir ensorcelé l’un des enfants de la famille pour laquelle elle travaillait. C’était insensé ! Anna n’avait jamais pratiqué la sorcellerie, et Darcy le savait, sinon elle s’en serait rendu compte au cours des nombreuses fois où elle avait sondé son esprit.
Mais rien n’y fit, le 18 Juin de la même année, Anna Göldin fut décapitée, après avoir été condamnée à mort par le tribunal de Glaris. La raison officielle fût l’empoisonnement, la justice ne souhaitant pas évoquer la sorcellerie, la chasse aux sorcières devenant peu à peu démodée.
Dharc ne se remit jamais complètement de ce terrible évènement. Mais le monde, lui, continua de tourner. Son mari mourut avec l’âge, ses petits enfants aussi, ainsi que leurs enfants, et ainsi de suite… Mais Dharc s’en fichait, ne souhaitant revivre cette expérience pour rien au monde, elle changea de vie et prit soin de ne plus jamais s’attacher à personne d’autre.
Les siècles passèrent, la lassitude s’installa.
Guerres, meurtres, malheurs, souffrances, illusions de bonheur, les humains ne changeaient décidément pas d’un pouce avec les temps. Dharc observait, changeant régulièrement d’identité, refaisant sa vie, exploitant les failles de l’administration afin que personne ne se rende compte qu’un être vivait bien plus longtemps que la moyenne humaine, se léguant à lui-même ses biens accumulés dans ses vies précédentes pour ne manquer de rien.
Peu à peu, Dharc s’était mis en retrait du monde, se mêlant de temps en temps à la foule pour voir comment avançait le monde et ne pas se retrouver trop perdu. La science avançait de plus en plus vite, la magie apparaissait de plus en plus obsolète aux yeux des gens. Mais il y avait une chose qui ne changeait pas, la nature humaine. De petits êtres fourmillant ça et là dans le monde, interagissant entre eux, se blessant les uns les autres, s’affairant à des tâches absurdes et dépourvues de tout sens…
Car Dharc en avait pris conscience depuis bien longtemps désormais. Longuement il avait cru qu’il était le seul à ne pas avoir sa place, à n’avoir aucun but. Mais il savait maintenant que les humains n’en avaient pas non plus. Ils avançaient, sans savoir pourquoi, agissait sans se demander l’utilité de l’action.
Certains se posaient des questions sur le pourquoi du comment, mais ils ne trouvaient jamais. De toute façon, personne n’écoutait plus ces ennuyeuses personnes qu’on appelait philosophes, il y avait bien trop à faire, trop de temps à perdre, trop d’années à gâcher au travail avant de se retrouver vieux, inutile, puis mort. Il en était ainsi partout dans le monde.
Année 2008, quelque part dans le Kantô, au Japon. Comme à son habitude, Dharc errait en espérant trouver quelque chose à faire pour passer le temps, une activité encore jamais testée, quand soudain, il vit un groupe d’adolescents entrer dans une école.
Maintenant qu’il y pensait, Dharc n’avait jamais étudié, pas dans une école en tout cas. Il s’était instruit en lisant des livres ici et là. Mais l’enseignement tel que les humains le faisaient, il ne l’avait encore jamais expérimenté.
L’hybride eut un léger sourire aux lèvres, voilà une expérience qui pourrait s’avérer divertissante, du moins pour un temps. Le semi-démon rassembla quelques papiers administratifs et se mit au travail. Quelques jours plus tard, il était un riche homme d’affaire souvent en voyage à l’étranger pour des obligations professionnelles, et inscrivait sa fille par courrier à l’école qu’il avait vue : Mahora.
Une somme d’argent fût même prévue pour convaincre plus facilement le directeur d’accepter d’intégrer « sa fille », Darcy Lysen, au cours de l’année, sans attendre la prochaine rentrée. Dharc avait décidé de reprendre son premier nom de famille, désormais il n’existait plus aucune trace de la famille Lysen depuis des siècles aux yeux de l’administration. Et quand bien même il y aurait des traces, personne n’irait imaginer qu’il était l’enfant caché de monsieur et madame Lysen, tous les deux morts vers la fin du XVIème siècle…
Mi-septembre de la même année. Darcy Lysen, une jeune fille à l’air peu commode, attend devant le bureau du directeur qu’on vienne la chercher afin de la présenter à sa classe…