« Hey ! Toi ! Là ! Le gros dur à la tête de piaf ! »

Clignement des yeux de la part de l'intéressé qui se retourne aussitôt. Putain, comment pouvait-on le déranger, là, à cet instant précis ?! Alors qu'il était si bien,  dans cette petite rue située entre deux pâtés de maison, à l’abri des regards indiscrets, en compagnie d'une charmante petite rousse au portefeuille bien garni, apparemment peu disposée à lui faire don de ses bénéfices. Il était sur le point de mettre en place la phase initiale : l'intimidation. D'abord il la ferait bien flipper, ensuite il s'amuserait avec elle comme il se doit (bon, d'accord, elle était pas toute jeune, mais peu lui importait, il en ferait ce qu'il en voudrait) avant de lui dérober tout son blé !! C'était pas un plan génial,  ça ? Mais il a fallu qu'il soit repéré. Bref coup d’œil en direction de l'endroit d'où provenais la voix. Mais que voit-il ? Une gamine, en plus !! Rousse aussi, les poings sur les hanches, l'air déterminé et le regard « me fais pas chier, j'pourrais casser la gueule à un camionneur. » Pour qui se prenait-elle, cette insolente ?! Elle allait aussi y passer !

« C'est à moi qu'tu causes, la mioche ? Dégage de là où tu vas vite regretter tes paroles ! »

Sourire en coin de la part de la « mioche. » Un rire léger, puis la voilà déjà tout près de lui, à saisir son bras massif comme s'il s'agissait d'un arrosoir, et à le retourner violemment, avec une force non dissimulée.

« Aah putain, tu m'as fais quoi salope... ! » dit-il en se tordant de douleur au sol, les yeux révulsés par la souffrance. Et voilà qu'elle en remet une couche et lui écrase son pied droit sur le visage.

« C'est à ma mère que tu cherches des noises. J'te conseille de plus l'approcher où le prochain sera... en bas. »

Elle retire son pieds et agrippe la femme rousse par le bras, changeant tout à coup d'attitude et de timbre de voix .

« Tu es vraiment étourdie, okaachan ! Tu devrais faire attention à ne plus laisser ton portefeuille dépasser de la poche de ton manteau à présent ! Une chance que je sois revenue plus tôt et que je t'aie aperçue ! »

La jeune femme se gratta la tête d'un air paumé et insouciant, comme si elle était complètement indifférente à la scène qui venait de se dérouler sous ses yeux. Elle esquissa un sourire gêné et répondit d'une voix douce :

« Arigato Saya-Chan, tu me sauves encore la mise une fois de plus... Je ferais attention à l'avenir, c'est promis ! »

Cette fille là, avec la crinière flamboyante et la petite gueule de truande au grand cœur, c'est Satou Saya, étudiante dans la prestigieuse école Mahora. Et à côté, la grande avec le sourire béat, c'est sa mère, Shizuka. Shizuka est cuisinière, elle tient un restaurant réputé pour sa cuisine de haute qualité. Elle a toujours l'air dans les étoiles et ne se rend jamais compte de ce qui peut lui arriver, à tel point qu'on se demande souvent qui est la mère et qui est la fille. En réalité, c'est une femme très triste, encore marquée par le départ de son mari dix sept ans plus tôt. Parti, évaporé, avant la naissance de son second enfant, laissant derrière lui une mère de famille brisée et un jeune fils en bas âge, Takashi, un petit gars qui déteste la violence et dont il a toujours eu honte suite à cette révélation. Depuis qu'il est en âge de travailler, et toujours aujourd'hui où il a fêté ses 25 ans, Takashi cumule les petits boulots afin de venir en aide à sa mère qui ne parvient pas à assumer toute seule leurs besoins financiers. Il vit toujours avec elle. Saya, quant à elle, est âgée d'à peine dix sept ans et est encore au lycée, où elle a été reçue comme assistante cuisinière, souhaitant également apporter une participation à la vie financière de sa maisonnée.

« Takashi-Kun, Saya-Chan, venez ici, j'ai quelque chose à vous annoncer. »

C'était il y a deux ans. Saya venait d'avoir quinze ans lorsque sa mère lui annonça qu'ils devraient être prêts à accueillir deux nouveaux arrivants dans leur petite vie de famille. En effet, la sœur aînée de Shizuka, Sayaka, et son mari, Sanji, ont été violemment percutés par un camion-citerne alors qu'ils rentraient chez eux en voiture. Ils sont morts sur le coup,  et, comme l'avait toujours voulu Sayaka, « en cas de problème » leurs enfants et la totalité de leurs possessions seraient placés sous la tutelle de sa cadette, si elle en accepte la responsabilité . C'est ainsi qu'elle fit la connaissance de Keitaro et Chiyoko, son cousin et sa cousine.

« Tu vas toi aussi au lycée ? Tu es dans un institut pour garçons, je me trompe ? »
« Dégage, la môme. Tu m'emmerdes. »

Ça fait maintenant deux longues années que Keitaro refuse tout contact avec sa nouvelle famille. Traumatisé par la mort soudaine de ses géniteurs, il ne se résout pas à accepter de refaire sa vie. Même sa petite sœur s'est éloignée de lui pour se tourner vers Saya, qui la considère tout comme.